Hommage à Gilles Rotillon (1946-2025)
C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Gilles Rotillon, le 11 juillet 2025. Figure majeure de l’économie de l’environnement et des ressources naturelles en France, chercheur passionné et pédagogue engagé, il était également un ami fidèle de la FAERE. Il avait été élu membre d’honneur de notre association dès sa création, en 2013, aux côtés de Claude Henry, Michel Moreaux et Ignacy Sachs, eux aussi figures éminentes et regrettées de notre discipline.
Nous souhaitons lui rendre hommage ici, en croisant nos regards d’amis, de collègues, voire d’élèves de Gilles.
Alors qu’il était professeur de mathématiques en lycée, Gilles Rotillon engage une thèse de doctorat en économie sous la direction de Philippe Michel. Ce tournant est le début d’un parcours académique exceptionnel, qui va marquer durablement le paysage de l’économie de l’environnement en France. Au cours de sa brillante carrière terminée au sein du laboratoire EconomiX de l’Université Paris-Nanterre, dont il était Professeur émérite, il a consacré l’essentiel de ses recherches à l’étude des politiques agri‑environnementales, des marchés de droits à polluer et des négociations climatiques. Ses travaux, souvent menés en collaboration, ont porté sur l’analyse des comportements de pollution, l’intégrité réglementaire, la comparaison des instruments économiques en agriculture, ainsi que sur la gouvernance des enjeux environnementaux à l’échelle internationale.
Formateur et passeur de savoirs, il a rédigé pas moins de trois Repères : Introduction à la microéconomie, Economie des ressources naturelles, ainsi que celui sur L’économie de l’environnement (avec Philippe Bontems) publiéinitialement en 2003 chez La Découverte et réédité à quatre reprises. Cet essai didactique, salué pour sa clarté, expose les fondements économiques des politiques environnementales (écotaxes, normes, marchés de permis) et reste aujourd’hui un manuel de référence de la discipline. Il apporte aussi son regard critique dans des essais comme « Faut‑il croire au développement durable ? » (L’Harmattan, 2008), où il interroge la cohérence entre discours et action, ou « Le Climat et la fin du mois » (Éditions Maia, 2020), un texte plus engagé sur les enjeux de justice sociale et climatique.
Au-delà de ses publications, Gilles a profondément façonné la discipline en France. Il a dirigé un Master en Économie du Développement Durable, de l’Environnement et de l’Énergie, et été le conseiller scientifique du Service d’Observation et d’études statistiques du Ministère de l’Environnement. Jusqu’à ses derniers jours, il continuait d’enrichir la discipline, contribuant à l’actualité sur les politiques environnementales, et plus récemment sur le capitalisme.
De par son engagement dans l’enseignement, Gilles a suscité de nombreuses vocations pour la recherche et a encadré des doctorants jusqu’à son départ à la retraite. Toujours rigoureux et bienveillant dans sa manière de guider, il a su accompagner le développement personnel de nombreux jeunes chercheurs qui font la vitalité de notre association. Sa manière d’encadrer était unique, laissant de la liberté tout en supportant les choix individuels de ses étudiants. D’une grande curiosité intellectuelle, il a toujours donné leur chance aux idées nouvelles et aux approches originales, surtout celles issues des outils mathématiques peu usités en économie. Il avait en effet une connaissance très poussée des mathématiques, du fait de son début de carrière en tant que professeur de mathématiques, mais surtout grâce à sa grande érudition et à ses innombrables lectures très pointues en la matière.
Gilles a aussi largement contribué à la formation et à l’accompagnement des jeunes débutant dans la discipline, que ce soit à travers ses interventions lors de séminaires ou en tant que membre de jurys de thèse. Nombre d’entre nous ont eu l’occasion, ou l’appréhension, de le croiser à l’occasion de notre soutenance de thèse de doctorat. Tout au long de sa carrière, il a accepté de siéger dans un grand nombre de jurys, apportant à chaque fois un regard à la fois exigeant, clairvoyant et bienveillant, ce qui n’empêchait pas quelques brins d’humour.
Fidèle à sa volonté de transmettre, il a continué à enseigner et à donner des conférences grand public après son départ à la retraite, y compris sous forme de billets de blogs (https://blogs.mediapart.fr/gilles-rotillon) ou de vidéos alliant pédagogie et esprit critique (https://www.xerficanal.com/rechercher/rotillon), et ce jusqu’aux derniers jours de sa vie.
À la fois sérieux dans son travail et passionné de montagne, avec l’escalade et le ski, bien sûr, mais aussi de golf, de lecture, de cinéma, de littérature, d’écriture, et un peu de vin aussi… de la vie en somme, il a su transmettre à ceux qui le côtoyaient l’exemple d’un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Sa bibliothèque personnelle était impressionnante et il n’aimait rien tant que faire découvrir des auteurs rares, et de petits bijoux de poésie improbable, à ses amis amoureux comme lui de littérature. Et cela enrichissait les discussions avec ses amis-collègues de réflexions profondes, ainsi que d’anecdotes. Certaines nous ont glacé le sang, tel ce grave accident de ski où il a failli se briser le cou, ou cette urgence cardiaque survenue au beau milieu d’une falaise au fin fond de la Grèce, dont il rapporta un pacemaker d’un autre âge. D’autres étaient désopilantes, et quelques chanceux ont même eu le plaisir d’assister à la blague du « coup du pingouin », preuve s’il en faut que Gilles était très drôle et ne se prenait pas au sérieux outre mesure.
Gilles laisse derrière lui une œuvre scientifique majeure, mais aussi une empreinte humaine profonde que nous n’oublierons pas. Il a marqué notre discipline par la rigueur de ses travaux, son engagement intellectuel et sa fidélité à l’idéal de transmission.
Au sein de la FAERE, il était plus qu’un collègue, il était un ami, un repère, une présence constante et bienveillante. Il a contribué à faire grandir notre communauté, par ses échanges, sa curiosité, et son souci de dialogue.
Gilles était un homme curieux, chaleureux, accessible. Son cœur était tellement grand qu’il avait deux pacemakers. Il va nous manquer terriblement. Son héritage est à la fois académique et humain. À nous désormais de continuer à transmettre, avec la même exigence et la même générosité.
Nos pensées vont à sa famille, à ses proches, et à toutes celles et ceux qui ont eu la chance de le connaître de près.
Serge Garcia (Président de la FAERE) et Vincent Martinet (ancien doctorant de Gilles)
Alain Ayong Le Kama et Mireille Chiroleu-Assouline (précédents Présidents de la FAERE)